Petits points cardinaux

Michel Séonnet

Jacques Stephen Alexis ou le voyage vers la lune de la belle amour humaine

POUR REFAIRE LE VOYAGE
Préface par Lyonel Trouillot

Alexis parle à l’enfant et à l’adulte, du rêve et de la réalité, de l’histoire et du présent, et du présent toujours comme invention de l’avenir. Alexis produit une œuvre et (se) fait une vie si riche qu’on pourrait dire de lui ce qu’on a dit de quelques-uns, Hugo par exemple, pour leur rendre hommage : qu’il n’a jamais existé. Il y a dans sa brève existence quelque chose de l’ordre de la plénitude, de l’omniprésence qui serait trop pour un seul homme. À tout compter, cela fait trop. Alexis serait donc une impossibilité.
Pourtant il fut. Et demeure. “Homme de haut calibre” comme le disait un poète du cacique Caonabo que le grand Jacques revendiquait comme ancêtre. Militant et “compose”. Acteur et analyste. Homme de tous les risques : oser penser, agir, créer du lien, convoquer le mythe, être résolument d’un lieu (condition nécessaire pour être de partout), solliciter la salutaire conver- sation avec l’enfant, la jeunesse, le penseur, l’ouvrier, l’amour, le passant... Alexis n’en finit pas de tenter, d’initier, et, pour une bonne part, de réussir.
Le livre de Michel Séonnet, dans sa composition même, rend compte de cette vastitude. Alexis, c’est cette immensité toute proche. Il y a dans ce livre ses mots à lui, ses amis, les espaces qu’il a traversés, les haltes et les escales, les souffrances aussi, l’ultime comme la preuve de cette immensité. La mise à mort de Jacques-Stephen Alexis par la dictature de François Duvalier ne reste pas dans les mémoires comme un assassinat. Tuer Alexis, c’est commettre un massacre. Est-ce pour cela que c’est le seul de ses crimes que le dictateur n’a pas osé revendiquer ?
Il y a aussi, dans cette multitude d’hommages, fait courant pour les centenaires, des tentatives diffuses de dépolitisation. Alexis, il fait bon désormais s’abriter à son ombre. Tout le monde y va de sa part d’éloge. Séonnet n’a pas attendu. Il en parlait avant. Quand le silence, comme une trahison, accom- pagnait l’absence. Faisons bon accueil à cette réédition. Pour la vérité historique. Alexis, son souvenir n’a pas toujours été une mode ou une occasion. Il avait valeur d’engagement. Ce livre est donc précieux. Surtout qu’en donnant la parole à Alexis, à ses frères de lutte, il nous interdit d’oublier que le “compère”, s’il y avait en lui beaucoup d’autres choses (une voix forte dans la théorie littéraire caribéenne, un intellectuel de haut niveau, un rassembleur...), était un communiste et un révolutionnaire. Des mots qui, décontextualisés, et réduits à des caricatures (merci au stalinisme) peuvent aujourd’hui faire peur. En ces temps où l’on a peur de dénoncer les inégalités, de rompre, de penser l’aventure humaine comme pouvant être organisée autrement vers plus de justice et d’égalité, qu’il fait bon de rappeler le passage parmi nous d’un homme que n’habitait aucune peur, sinon celle du maintien de la misère et de l’injustice sociale comme la plus triste éternité. En regardant ce que sont devenues les gauches aujourd’hui, on imagine le grand rire d’Alexis-Gonaïbo dans sa forêt où les arbres chantent même quand ils meurent.
Merci à vous, Michel Séonnet, de donner à nous autres terriens de lire ou relire, faire ou refaire, ce voyage vers la lune de la belle amour humaine, que fit, qu’était Jacques-Stephen Alexis.

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