Petits points cardinaux

Michel Séonnet

38 - Comment on tient ?

Tenir ? Qu’est-ce qui fait que l’on tient ? Comment on tient ?

C’est cette question qui m’est venue dès qu’il a été question d’une possibilité d’un travail avec les détenus du Centre Pénitentiaire du Sud-Francilien (CPSF) à Réau, Seine-et-Marne, dans le cadre du Programme régional de résidences d’écrivains en Ile-de-France.

C’était déjà la première phrase de Sans autre guide ni lumière, qui s’ouvrait avec cette question - Qui tient bon ? - que posait Dietrich Bonhoeffer du fond de sa cellule à la prison de Tegel, Berlin.

Elle recoupait une interrogation qui m’était souvent venue concernant mon propre père condamné à vingt ans de travaux forcés pour faits de collaboration et intelligence avec l’ennemi alors qu’il n’avait que 22 ans.
Je venais de retrouver aux archives de Meurthe-et-Moselle une lettre du 11 septembre 1945 qu’il avait écrite, depuis la prison des Beaumettes à Marseille, à son père interné quant à lui au camp d’Ecrouves, près de Nancy. Malgré tout ce qu’il venait de vivre au cours des deux années précédentes (milice, fuite de Marseille après le débarquement allié en Provence, traversée mouvementée de la France sous les attaques des maquisards, regroupement en Allemagne, incorporation à la division SS Charlemagne, montée eu front en Poméranie face aux Russes, débandade, traversée clandestine de l’Allemagne, puis de l’Italie, arrestation en France jusqu’à cet incarcération aux Beaumettes en attendant le procès), il y avait quelque chose d’un gosse dans le ton de sa lettre qui commençait par un Très cher Petit Père plein de tendresse. Et pour moi, à le lire, à l’imaginer les mois suivants face à sa condamnation, la rude question de savoir comment on tient - comment on essaie de tenir- lorsque tombe sur vous l’annonce que les prochains vingt ans vous les passerez en prison.

Comment on tient ?

C’est cette question que j’ai apportée avec moi au CPSF de Réau.

Le CPSF de Réau est une prison de construction récente. Il a été réalisé dans le cadre de contrat de partenariat avec le privé, l’opérateur privé continuant d’en assurer la gestion ainsi que les différents ateliers.
Le CPSF de Réau comprend trois bâtiments de Centres de détention (deux pour les hommes CDH1, CDH2 - un pour les femmes, CDF) ainsi qu’un Quartier Maison centrale (QMC)
Un Centre de détention est, en principe, une prison qui accueille des personnes condamnées à des peines de deux ans et plus et considérées comme présentant les perspectives de réinsertion les meilleures. Les personnes ayant à purger de longues peines sont incarcérées dans des Maisons centrales. A Réau, le Quartier Maison centrale accueille des détenus considérés comme "sensibles". Mais on trouve aussi dans les centres de détention de Réau des personnes condamnées à de longues peines. En particulier pour ce qui est des femmes dans la mesure où il n’existe pas de Maison centrale qui leur soit propre.

Le projet de ma résidence à Réau a été monté en partenariat avec la Médiathèque départementale de Seine-et-Marne, le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de probation) et la Croix-Rouge dont les bénévoles participent à l’animation et à la gestion des bibliothèques des centres de détention.

En préalable à mes interventions, j’ai fait plusieurs visites en détention où j’ai été présenté aux surveillants auxquels j’aurai à faire et où j’ai pu rencontrer les auxiliaires de bibliothèque de chacun des bâtiments, des détenus qui ont fonction de bibliothécaires.

Je ne voudrais pas commencer ici par l’inévitable sentiment d’étrangeté qu’éprouve le néophyte à entrer dans un lieu de détention. Et pourtant ! Ma seule expérience pénitentiaire consistait jusque là à avoir accompagné mon ami Abdelhak Eddouk à Fleury-Mérogis où il était aumônier musulman alors qu’il voulait que je l’aide à écrire un livre sur cette expérience.

La particularité de Réau est son impeccable (implacable ?) géométrie qu’agrémentent ici et là sur les façades et dans les couloirs des tentatives de couleurs vives. On y a son comptant de portes à franchir. D’attente devant ces portes. Le temps, alors, de voir que le ciel est quadrillé de câbles que l’on suppose anti-évasion. Ce qui n’empêche pas les oiseaux de s’y aligner comme ailleurs sur des fils électriques. On entre. On croise de nombreux surveillants et surveillantes. Je m’attendais à une certaine réticence de leur part. Pas du tout. Ils sont à mon égard aimables et coopératifs, dans les limites, bien sûr, de la gestion complexe du mouvement de détenus qui impose qu’à certains moments les portes soient bloquées obligeant à attendre entre deux grilles que la voie soit ouverte.

Et ainsi atteindre les bibliothèques dans lesquelles je vais intervenir.

Vous trouverez ici le Journal de mon travail avec les détenus.

mercredi 5 novembre 2014

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