Petits points cardinaux

Michel Séonnet

Lorsque l’enfant paraît

Lorsque l’enfant paraît

A G. T.

Aux vieillards qui bavent d’impuissance
aux vautrés
aux aigris
aux pervers
aux esthètes que l’enfance fait vomir
aux assis dans leur propre merde
qui en ont oublié tout ce qu’ils ont lu
aux déjà morts qui voudraient nous entraîner avec eux
je voudrais rappeler
l’enfant qui montre le roi nu
le fou qui en plein jour agite une lampe que personne ne voit
l’enfant qui d’une pierre abat le géant
le dément qui, à Turin, pleure sur le cheval battu
l’enfant qui joue au trictrac
le rabbi qui annonce qu’il faut devenir comme un enfant pour atteindre le soleil
le poète pas sérieux du haut de ses dix-sept ans
la sainte de même âge creusant à mains nues sa petite voie
et tant d’enfants
et tant de fous
qui ne consentent pas aux ruines
(à chacun d’ajouter ici les siens)
tous ces fragiles que les morts-vivants
veulent abattre
de peur qu’ils réveillent leurs chairs molles
de trop de consentements
oh monde agonisant qui joue sa survie
au babil des enfants
et au cri des fous
monde mourant
qui a besoin de l’enfant et du fou
pour réveiller sa fatigue
oh triste fatigue qui ne trouve rappel
qu’en leurs mains désarmées
pour survivre
simplement survivre
la tête hors des eaux de l’oubli
monde malade
monde perdu
qui n’a plus que l’enfant
pour réveiller son indolence criminelle
monde ravivé
écharde incisive
puissions-nous en garder la blessure
puissions-nous garder en nous la blessure de l’enfance

lorsque le monde a besoin
qu’un enfant paraisse
c’est qu’il fait déjà bien sombre

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